Il y a une gare, ici, dont le dernier train s'arrête à 19:32.
Après, ce ne sont que des marchandises qui transitent et quelques TGV qui passent à 160km/h en direction ou en provenance du Mans ou Nantes.
Moi, je ne faisais qu'y passer, attendant de rejoindre des collègues.
Je profitais de ce moment creux pour me sustenter, n'en ayant pas eu le temps auparavant. Un sandwich et quelques clémentines suffirent à combler le manque de calories et comme je suis une personne soucieuse de mon environnement, je cherchais une poubelle ou je pourrais mettre mes détritus.
Sur le quai, j'en aperçus une et en me dirigeant vers elle, je remarquai une personne, encapuchonnée, de dos, quelques mèches rousses dépassant, assise dans un fauteuil roulant.
Vous connaissez probalement les passerelles enjambant les voies? Si fatigantes à emprunter? Elle était sous l'escalier, dans l'obscurité, sans bouger, ne tournant même pas la tête à mon passage, moi qui m'apprêtais à la saluer, suivant l'usage suisse qui est si convivial.
Je mis mes déchets dans la poubelle et repassai devant la personne. Je me doutais que c'était une femme, mais rien ne pouvait le confirmer.
Là, je marque un temps d'arrêt, me demandant si je l'aborde pour savoir si elle a besoin de quelque chose, puisque à cet endroit et à cette heure, tout était désert, et il n'y avait pas de raison de se trouver ici sans but précis...
Il était 21:22, je me rappelle avoir regardé l'heure à la pendule de la gare.
C'est au souvenir de cet instant que des remords m'assaillent maintenant.
Quelques minutes plus tard, je partais en camionnette rejoindre mes camarades, accompagné d'un agent SNCF.
Sans rentrer dans les détails, nous travaillons sur les voies et attendions la libération de celles-ci, lorsque, vers 20:40, j'entends un échange téléphonique entre agents signalant qu'un accident de personne vient d'avoir lieu à la gare d'Evron que nous venons de quitter à l'instant.
Immédiatement, j'ai su que c'était celle que je venais de quitter.
Nous avons fait demi-tour immédiatement et sommes retournés sur les lieux.
Les pompiers venaient d'arriver, et sur le quai, parmi des débris de fauteuil, d'autres choses qu'on n'aimerait jamais voir, une forme couchée, dont je reconnus les cheveux roux.
Elle était vivante...
Au passage du train, elle s'y est pris plus tard qu'elle pensait, et n'est pas tombée sur la voie, ce qui aurait été radical. Elle a été happée par l'avant du fauteuil, s'est fait arracher le pied et projeter à quelques mètres, lui causant également des blessures au visage et aux jambes.
J'étais bouleversé, je me suis penché vers elle, elle était consciente et ne semblait pas souffrir. Étant déjà paraplégique à la suite d'un accident, elle ne ressentait pas la douleur des ses blessures aux membres inférieurs.
J'ai eu juste le temps de lui parler quelques minutes avant que les pompiers et les gendarmes me demandent d'évacuer la zone.
Il s'agissait d'une jeune femme d'environ 25 ans, à mon avis, assez jolie, pour le peu que j'ai pu en voir, un triste gâchis.
Il n'y avait plus d'urgence pour le travail, le TGV bloquant la voie à quelques centaines de mètres, le conducteur devant être remplacé, suivant la procédure.
Les quatre cents passagers devraient attendre, eux aussi.
Je suis resté, répondant aux questions des gendarmes, mais je n'étais pas un témoin direct, heureusement pour moi, d'ailleurs.
Vu la trajectoire des débris, je recevais le fauteuil de plein fouet, ou la demoiselle.
Je me console en me disant qu'elle est encore vivante, mais que si elle en est arrivée à de telles extrémités, ce n'est peut-être pas la solution qu'elle aurait souhaité.
Tous ses ennuis sont encore là, et d'autres viennent de s'y rajouter.
J'ai des remords, qui vont passer, mais pas de sentiment de culpabilité.
Car avec des "si", on frôle la dépression.
Je suis surtout triste de voir des gens être désespérés à ce point.
En cherchant des infos sur le net, je m'aperçois que cette gare a le triste privilège de connaître plusieurs drames comme celui d'hier.
J'espère que cette jeune personne arrivera à surmonter cette tragédie et à se remettre, autant que faire se peut, de ses blessures.
Personnellement, j'apprécie trop la vie depuis mes déboire d'antan, et comme le souligne mon titre, il y a toujours une seconde chance.
Je vais maintenant essayer de me reposer, la nuit fut longue et la journée reprend à 14:00.
La vie continue, mais j'avais besoin de parler de cette malheureuse "expérience", si je puis dire.
Je n'ai pris qu'une seule photo, elle se suffit à elle-même. |