A l’heure où en Suisse, le rail est roi, le percement du Gothard imminent, où le tunnel du Lötschberg arrive à saturation, alors qu’au départ ce n’était qu’un passage secondaire dont l’utilité ferroutière avait à peine été démontrée, il se passe qu’en France, on ferme les voies, on supprime les gares, et on vous met dans un autocar bondé sur une ligne certainement pas déficitaire…
Pour raisons de travaux, vous dit-on, mais les travaux ne sont pas ceux qu’il faut.
Depuis l’école on nous apprend que le meilleur moyen de durer dans tous les secteurs, c’est d’entretenir, et que voit-on ? Des milliers de kilomètres de voies à l’abandon, des accotements envahis par la végétation, des triages inutilisables, des entrepôts par centaines en ruine. Alors quand travaux il y a, c'est pour tout refaire ce qui n'a pas été entretenu.
Tout comme les tramways qu’une série de campagnes calomnieuses avait mis au rebus dans les années 20, le train a subi presque le même sort durant les quarante dernières années.
Tout est là pourtant, l’infrastructure, les voies, du moins celles qui restent encore, et peut-être encore un peu de personnel qui sache travailler de ses mains.
Au fil de mes nombreux voyages dans toutes les gares de France, je vois les maisons particulières se rapprocher des voies et les Sernam disparaître. Idem les voies d’accès aux usines qui disparaissent sous les ronces, quand ce ne sont pas des arbres. Soi-disant pour des raisons de rentabilité, les camions sont privilégiés, mais expliquez-moi où se trouve la rentabilité de faire livrer 200 tonnes de ballast d’Alençon à Juvisy/s/Orge par la route ? Soit 10 camions qui font chacun 500 Km. Un seul train peut en transporter 5 fois plus.
Maintenant toutes les villes veulent un tramway, c’est silencieux écolo et tout et tout…Creusez un peu et vous retrouverez les anciennes voies sous le bitume à Paris, Lyon, Marseille et Bordeaux. Peu de villes ont de vraies bonnes idées : interdire les camions en agglomération, construire des entrepôts en périphérie et faire les livraisons des magasins avec le tramway la nuit. Prévoir des flottes de petits véhicules électriques pour les services de la ville.
On se dit que dans quelques années,en voyant les colonnes de poids-lourds sur les autoroutes, il faudra bien se résoudre à retirer les camions de la circulation, et puis on entend qu’on va autoriser des road-trains à l’image de l’Australie, des camions de 60 tonnes, alors que le contexte est radicalement différent.
Le chemin de fer coûte cher et n’est pas rentable à court terme. La route oui, (les sociétés d'autoroute ne me contrediront pas)et tant de personnes y sont associées, du monteur chez Scania au chauffeur ou mécanicien, de receveur du péage à l'ouvrier qui construit les entrepôts . Mais si le rail était à nouveau entretenu comme il le mérite, les emplois seraient innombrables aussi.
Ceci m’amène à un autre aspect de cette politique de consommation à outrance dont je suis moi-même friand. Toutes les constructions ancestrales qui existent encore ont été créées sur une ou plusieurs générations. Il n’était pas rare qu’un architecte ne voit pas le fruit de ses études terminé. Il y avait un esprit de compétition, mais pas au niveau d’un individu, mais d’une ville, d’un diocèse ou d’un comté, voire d’un royaume.
La construction du chemin de fer français a duré des dizaines d’années, des centaines de maires et de conseillers généraux se sont battus pour faire venir le rail dans leur commune, attirer les marchés les foires. Petit à petit, nous retournons dans les villages ruraux, mais avec nos voitures et nos camions.
Mais comme les entreprises et les universités se trouvent encore en milieu urbain, chaque jour dans des dizaines de moyenne et grandes agglomérations, ce sont des embouteillages à n’en plus finir.
Les dessertes intervilles se sont raréfiées, toujours à cause de la sacro-sainte rentabilité, alors que des autocars estampillés TER sillonnent les campagnes le long de voies désertes.
Ces cars, ces trains emmènent dans les villes des cadres, des secrétaires, des représentants, des tas de gens qui remplissent des pages, vendent des produits d’importation ou des services, et laissent leur lotissement abandonné.
La Chine, en quelques années, nous a submergé des produits que nous lui faisons produire, nous inonde de ses techniciens, étudiants, ingénieurs. Bientôt, nous ne saurons plus rien faire nous-même, le savoir-faire ne nous appartiendra plus. Je ne sais pas si ses dirigeants ont une vision globale du futur, mais si oui, ils s’en tapent et c’est dans leur nature. Une chinoise de Canton m’a dit que ses concitoyens vivent pour eux-mêmes, la notion d’emprunter la Terre à leurs enfants leur est totalement étrangère.
Hé bien, en plus d’exporter leurs produits que les sociétés occidentales développent pour l’instant chez elles, la société chinoise nous lègue son égoïsme et son gros bout de la lorgnette, celui qui ne nous fait voir que nos pieds. Même si l’accoutumance fut aisée.
La merveilleuse, la très dynamique société brésilienne dont on nous rebat les oreilles n’est qu’un avatar des États-Unis, bel exemple s'il en est un pays qui détruit à tout jamais sa merveilleuse forêt pour être autonome énergiquement, vide ses ressources uniques, la zone amazonienne toute entière devrait être classée patrimoine mondiale de l’Unesco, comme l’Antarctique.
D’un bout à l’autre de la grande chaîne mondiale, le gigantisme et la démesure sont de rigueur. Les chantiers navals Huyndaï en Corée du Sud nous construisent des porte-containers de 15000 éléments alors que la norme était de 5000 auparavant, norme Panamax qui pourront passer dans le second canal de Panama bien plus large, pour alimenter des centres commerciaux de 5 hectares où nous irons faire les courses avec la familiale au coffre de 2m³, et dans lequel nous remplirons un caddie géant pour nourrir nos enfants obèses...
J’ai titré « vive le train » en partant de l’idée de gueuler un bon coup contre les inepties que je vois chaque jour, mais j’aurais pu prendre des dizaines d’exemples aussi tordus les uns que les autres sur la déliquescence de la société et de la perte des valeurs qui étaient les nôtres.
Les grandes surfaces qui ruinent les cultivateurs et qui nous nourrissent de produits bourrés d’huile de palme et de chimie opaque. Les millions d’employés de sociétés qui n’ont d’autre but que de soutirer l’argent de leurs concitoyens en leur faisant croire que le bonheur est imminent.
Pour mille employés de cette sorte, je ne vais rencontrer qu’un seul ouvrier tailleur de pierres sur la cathédrale de Bourges, qui lui, aura le sourire en voyant les merveilles qu’il est capable de reproduire de ses mains, sans avoir une seule fois nui à son prochain.
J’arrête là ma diatribe, las que je suis de voir que l’histoire ne nous a rien appris.
Mais il existe un autre lieu où tout est différent, où je vois des gens heureux de rendre service et de protéger leur patrimoine, mais ce n’est pas ici.
A part ça, je suis toujours au Mans, et il fait un temps de cochon, ceci explique peut-être cela:-D
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